La Belle et la Bête
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Pays |
France |
Durée |
1h40 |
Année |
1946 |
Réalisation
& scénario |
Jean Cocteau daprès
le conte de Mme LEPRINCE DE BEAUMONT |
Image |
Henri
ALEKAN |
Direction artistique |
Henri BERARD |
Décors |
René
MOULAERT |
Musique originale |
Georges AURIC |
Distribution |
Célia-Films
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Interprètes |
Jean MARAIS (Avenant,
la Bête, le Prince), Josette DAY (La Belle), Mila PRELY
(Félicie), Nane GERMON (Adélaïde), Michel
AUCLAIR (Ludovic), Marcel ANDRE (Le marchand). |
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Synopsis
Un marchand veuf et à demi ruiné vit dans un manoir
campagnard avec son fils Ludovic, un chenapan, et ses trois filles Félicie,
Adélaïde et Belle, qui a été réduite
à létat de servante par ses surs, égoïstes
et prétentieuses. Au retour dun voyage, le marchand ségare
et pénètre dans un château étrange. Il cueille
pour Belle une rose dans le jardin. Le propriétaire apparaît
alors. Cest un monstre au corps dhomme et au mufle répugnant
de bête, qui le condamne à mourir, à moins quune
de ses filles ne vienne prendre sa place au château. Belle se
sacrifie pour le sauver. Elle se rend au domaine de la Bête et
découvre que le monstre a un cur.
Autour du film
Du conte au film
Par le truchement dun conte recueilli en 1757 par Madame Le Prince
de Beaumont, Cocteau a repris sa mythologie personnelle. Le film est
présenté au Festival de Cannes en 1946.
Jean Cocteau (1889-1963).
Poète, romancier dramaturge, peintre, il aborde le cinéma
en 1930, avec Le sang dun poète, un court-métrage
où il montre en détonnantes images la fonction quil
assigne au poète : dévoiler linvisible.
" Un franc-tireur du cinéma "
En 1945, il écrit le scénario, daprès Diderot,
de lun des plus beaux films de Robert Bresson : Les Dames du Bois
de Boulogne. Puis, sassurant la collaboration de René Clément
et de Henri Alekan, il met en scène le merveilleux conte de La
Belle et la Bête. Plus tard, avec Orphée (1950) et Le Testament
dOrphée (1960), il donne corps à la mort, de façon
très concrète, réalisant ainsi ce quil appelait
le " réalisme magique ". Quil mette lui-même
en scène Les Parents terribles (1949) ou quil permette
à Jean-Pierre Melville de réaliser lun de ses meilleurs
films Les enfants terribles (1950), cest toujours sa vision poétique
du monde qui nous étonne et nous touche.

La cour intérieure
comme espace de vérités.
C'est à partir du célèbre
conte de Madame Le Prince de Beaumont que Jean Cocteau décida
de mettre en scène La Belle et la Bête, cependant la version
de celle-ci diffère quelque peu de la version plus ancienne de
Mme de Villeneuve; le père de Belle à toujours été
pauvre et ne posséde pas de fils. Le principal enjeu de ce conte
est de faire comprendre de manière latente à l'enfant
l'existence d'une sexualité bestiale effrayante et dont la peur
ne peut être surmontée que par dépassement du complexe
d'Oedipe. Belle surmonte donc sa peur pour la Bête et grâce
à l'accord de son père transfère son amour oedipien
en un amour plus "normal" d'une personne de son âge.
Comme tous les différents lieux du château de la Bête,
l'espace de la cour intérieure est exhaustivement symbolique
mais se caractérise tout particulièrement pas une représentation
mouvante et par une indicible existence de par sa non-spatialisation
(on ne sait comment on y accède car les espaces adjacents changent
durant le film -hauteurs, zone boisée, espace ouvert et ruines-
et l'accès même au lieu semble se transformer -grandes
doubles portes, passage entre des arbres-). Il apparaît à
divers instants clefs du film (de l'histoire) et sera l'espace de la
dernière séquence (climax et dénouement).
La poésie de Cocteau associée
au puissant signifiant du conte de fées font de ce lieu un espace
intriguant, mystique même dans ses tons de paradis.
Symbolique :
Nous considérerons pour cette analyse que la cour intérieure
est séparée en deux espaces distincts:
- La source que l'on trouve derrière une porte de l'enceinte.
- Le pavillon de Diane que l'on peut voir
de la chambre de Belle (bois clairsemé)
Le premier est une sorte de jardin intérieur au centre
duquel jaillit une source. L'accès est protégé
par de lourdes portes. La Belle n'entrera pas de suite dans le jardin,
se contentant au début de regarder en cachette la Bête
qui s'abreuve à même la surface de l'eau comme un animal.
Ici est montrée pour la première fois la véritable
Bête. Un être séparé entre deux extrêmes,
l'homme et l'animal, le sauvage et le civilisé. Il est un être
bon à l'apparence monstrueuse et au comportement oscillant entre
le subtilement raffiné et le trivialement bestial. C'est dans
ce lieu que la bête se révèle en la Bête et
que la Belle voit la vérité (lumière blanche provenant
de l'intérieure et se projetant sur son visage), saisit la schizophrénie
du personnage; bon et cruel à la fois, effrayant et touchant
lorsqu'il se désaltère bruyamment à la source divine
de l'esprit dans ce jardin paradisiaque aux cotés de Pégase
et de cygnes, animaux purs et nobles, symbolisant respectivement l'inspiration
poétique et l'allié des dieux..
Sur le plan psychanalytique, la scène où Belle voit la
Bête par cette porte entrouverte peut être rapprochée
de la scène primordiale, initiation première de la sexualité
chez l'enfant (l'homme -vertical- penché vers la terre - horizontale,
féminine- et buvant l'eau de la source avec vigueur). La Belle
entrevoit aussi d'une certaine manière les "capacités
sexuelles de l'homme" et l'animalité de la sexualité qui
la repoussera (pas bien longtemps...).
Lorsqu'une deuxième fois, les personnages pénètreront
dans cet espace, le lieu nous révèlera ce qu'il en est
de leur relation : la Belle fait boire la Bête dans ses mains.
On peut voir dans cet acte l'acceptation de l'autre ou bien la réalisation
d'un fantasme sexuel buccal. Ainsi le lieu agit comme un filtre à
deux niveaux, révélant d'une part le rapprochement des
deux êtres et d'autre part le premier rapport sexuel de la jeune
fille. C'est à la suite de cet acte que Belle ressent le manque
de son père et le besoin de retourner auprès de lui pour
obtenir un soutien face à ce qui reste pour elle une sexualité
non épanouie.
Le jardin secret est aussi l'endroit magique
où après la mort symbolique de la bête, celle-ci
renaîtra sous la forme d'un merveilleux prince, possédant
un merveilleux royaume. Dans ce lieu jaillit la vérité
(et le prince charmant) qui permettra à la Belle de surmonter
la peur de la sexualité et de vivre avec un homme pour se réaliser
un peu plus (selon Bettelheim, le "moi" sans "toi" correspond à
une existence solitaire et pauvre quel que soit le niveau d'accomplissement
personnel)
Nous verrons par la suite que ce lieu correspond
à l'instance du "ça".
Il n'est question du second qu'a partir de la
deuxième partie du film, lorsque le Bête autorise la Belle
à rentrer chez son père à condition qu'elle revienne
la semaine écoulée. Il lui avoue l'existence du pavillon
qui contient toutes ses richesses véritables et non magiques
comme son château et ses serviteurs invisibles. Ce pavillon ne
peut être pénétré et seule une clef d'or
que la Bête donne à la Belle pourra l'ouvrir au cas où
la Bête mourrait. Dans la symbolique alchimique, la clef d'or
lie contrairement à la clef d'argent qui délie, et c'est
donc comme gage d'amour et de confiance que la Bête offre cet
objet à la Belle.
Le pavillon de Diane (Déesse romaine
de la chasse et de la nature sauvage), peut être considéré
comme un leurre servant à confondre les bons des mauvais ou bien
comme le véritable vestige de l'homme que fut la bête et
par conséquent ce qui lui donne de l'espoir, le rattache à
la vie. Effectivement, le piège que représente le pavillon
et dans lequel rentre brutalement Avenant (par le toit, comme un cambrioleur)
se mettra en marche, tuant symboliquement celui-ci avec une flèche
(droiture de la morale), démontrant ainsi sa mauvaise nature,
égoïste (il dit que la souffrance d'être séparé
de Belle lui ferait l'obliger à le rejoindre), puéril
(joue, boit et aide Ludovic à dilapider le peu d'argent qu'il
reste au père de la Belle), voleur sans scrupule...Le pavillon
serait ainsi un trésor non pas matériel mais spirituel
que seul les véritables héros vertueux pourrait obtenir,
et la statue de Diane, le gardien de ces lieux. Cet endroit met en garde
contre la pauvreté d'une vie matérielle et loue les valeurs
magiques (le prince s'est transformé en Bête car ses parents
ne croyaient pas aux fées tout comme Avenant, qui refusant d'y
croire est à son tour transformé en bête), les contes
de fées.
Le pavillon sépare le bien du mal, distingue les vrais coupables
et rend au prince son apparence tout en transformant Avenant en bête
-la flèche diarétique-, rendant ainsi justice.
Le pavillon symbolise d'autre part la virginité de la Belle tout
comme le gant droit de la Bête, et révèle le prince
charmant. Avenant, en brisant la verrière -"du verre, c'est du
verre"- est mis en opposition avec la Bête qui se laisse délicatement
ganter par la Belle. Il est donc disqualifié définitivement
du paysage sexuel de la Belle car il ne répond pas à ses
envies.
Il correspond, par son aspect moral et positif à l'instance du
"surmoi". Ainsi, on peut considérer le prince comme le "moi"
(résultante des deux autres instances et manifestation de la
personnalité) qui ne pouvait se constituer tant que le ça
n'était pas assumé (acceptation de la bestialité
par le Belle) et le surmoi élaboré (notion de justice
intégré).
Esthétique et filmique :
Jardin
-Importance du regard, de la possibilité de voir
-Le voyeurisme de la jeune femme innocente face au naturel de la Bête
-Dyade lumière / obscurité, sauvage / civilisé,
debout / agenouillé, faune & flore / humain, poil / peau,
la pureté / la souillure, la noblesse / la trivialité
-Pénétration dans l'espace par étapes (le son puis
l'image)
-Le rythmique des ondes dans l'eau
Pavillon
-Pureté de la neige et avilissement du corps transformé
en bête
-Lumière /obscurité, extérieur/espace clos et étroit,
vivant/animé, le haut/ le bas
-Espace dangereux et intensité dramatique(dynamisme) amplifiés
par fortes contre plongées et plongées
-Surréalisme de la statue vivante possédant un arc sans
corde qui tire des flèches réelles
Action et Narration :
La cour intérieure est ici le lieu par lequel les deux personnage
se rapprochent. C'est une rose provenant d'un rosier qui juxtapose cette
cour qui fournira le prétexte de leur rencontre. C'est aussi
dans ces lieux que Belle découvre la nature de la Bête,
qu'elle commencera à l'apprécier, puis à bien l'aimer
et enfin à l'aimer. Dans la dernière séquence les
deux cours intérieures se répondent: au bord de la source,
les gros plan se succèdent, les sentiments des personnages sont
révélés alors que dans le pavillons, les points
de vue sont instables, dynamiques, propre à l'action et au climax.
Les deux cours se rejoignent enfin quand par un effet de montage, un
gros plan montrant Avenant transformé en bête est mis en
confrontation directe avec le regard suspicieux de la Belle qui demande
où est passée la Bête.

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